Avec la mise en place du Parquet européen, le rôle de l’avocat comme défenseur des libertés individuelles plus que jamais primordial – Option Droit et Affaires, 09/06/2021

 

Au regard du montant annuel des escroqueries aux subventions communautaires, 3 milliards d’euros, et de celui des fraudes à la TVA au sein de l’Union européenne (UE), 50 milliards d’euros, l’entrée en vigueur imminente de l’action du Parquet européen est presque providentielle. Toutefois, si celui-ci marque une étape importante dans la construction d’une UE plus intégrée, les avocats ne peuvent s’empêcher de s’interroger sur le statut hybride des procureurs européens délégués en France et le risque en découlant d’un éventuel recul des droits de la défense.

C’est par le mécanisme de la coopération renforcée que le Parquet européen a pu voir le jour. L’entrée en fonction le 1er juin 2021 de cette nouvelle instance communautaire, supranationale et dite « indépendante », constitue une avancée considérable vers une Union européenne (UE) plus intégrée. Elle envoie un message d’autant plus fort qu’elle touche à la matière régalienne du droit pénal qui relève par excellence de la souveraineté des Etats membres.

Le Parquet européen au service d’une Union européenne plus intégrée

Si l’on s’en tient aux objectifs affichés de lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE, cette nouvelle institution est logique et prometteuse. Elle pourrait en effet permettre le recouvrement de plusieurs milliards d’euros chaque année. Cette étape supplémentaire vers une harmonisation du droit pénal prouve, s’il le fallait, que l’UE a la capacité de concrétiser des projets d’envergure, y compris dans un contexte post Brexit.

Concrètement, quels bénéfices pouvons-nous voir s’esquisser avec la mise en service du Parquet européen ? Efficacité et opérationnalité sont les maîtres mots affichés. Cet organe a pour principale vocation la confiscation accélérée et uniformisée des avoirs d’origine criminelle et le recouvrement, à l’échelle de l’Union européenne, des dommages et intérêts.

Le Parquet européen a-t-il néanmoins les moyens de cette ambition ? La réponse semble positive puisque le dispositif est constitué de deux niveaux aux moyens et aux effectifs spécialisés renforcés : l’un, centralisé, voué au déploiement de grands axes en matière pénale, et l’autre, décentralisé, reposant sur des procureurs européens délégués au sein des Etats membres. Nul doute que le long mandat (sept ans) du chef du Parquet européen participera aussi à la construction d’une véritable politique pénale à l’échelle européenne.

Dans la mesure où les poursuites seront exercées au niveau national, l’avènement du Parquet européen ne nous permet pas d’envisager une uniformisation des sanctions au niveau européen. Toutefois, nous pouvons imaginer un certain alignement des réquisitions des procureurs européens délégués au sein des États membres.

Signe de l’importance attachée à la coopération judiciaire européenne, 22 Etats membres sur 27 participent déjà au fonctionnement de ce nouveau Parquet européen. Une avancée considérable !

Le statut hybride des procureurs européens délégués en France, un risque de recul des droits de la défense ?

Si la création du Parquet européen représente une avancée majeure pour l’Union comme acteur de la scène économique internationale, il paraît impossible d’éluder les interrogations que soulèvent le statut hybride des procureurs européens délégués en France et le risque en découlant d’un éventuel recul des droits de la défense

Les procureurs européens délégués en France disposent à la fois des attributions d’un procureur de la république et de celles d’un juge d’instruction. Ils sont dotés de prérogatives larges et mixtes. Ils pourront décider d’engager des poursuites et de mener toutes les investigations nécessaires, y compris l’ouverture d’une instruction. Dans cette hypothèse, ils pourront eux-mêmes décider d’accomplir des actes d’instruction, comme des mises en examen, des expertises ou encore des interrogatoires.

Le procureur européen délégué ne serait-il pas alors à la fois juge et partie, décidant des poursuites à mener ?

La seule limite du procureur européen semble résider dans l’obligation de devoir saisir le juge des libertés et de la détention pour les mesures les plus attentatoires aux libertés individuelles. Espérons que le statut hybride du procureur européen délégué en France ne serve pas d’antichambre à la disparition, controversée, du juge d’instruction, avec pour corollaire un risque de recul des droits de la défense. En effet, à la différence des instructions, les enquêtes préliminaires ne sont pas contradictoires et les avocats n’ont alors pas accès au dossier de la procédure.

L’indépendance du Parquet européen soulève également des interrogations. Si elle est proclamée par le réglement 1 relatif à sa création, cette autodéclaration défie cependant les spécificités pénales en France et suscite quelques réserves. Les procureurs européens délégués sont en effet désignés par les Etats membres et choisis parmi les membres des parquets nationaux. Or, les magistrats composant le parquet en France sont placés sous l’autorité du garde des Sceaux et sont ainsi dépendants du pouvoir exécutif. Ils ne présentent donc pas les mêmes garanties d’indépendance que les magistrats du siège. L’intégration du Parquet européen dans notre système judiciaire permet-elle de relancer le débat de la nécessaire indépendance statutaire du parquet français ? C’est souhaitable.

En tout état de cause, il nous paraît indispensable de faire naître un dialogue constructif entre procureurs européens délégués, avocats et magistrats nationaux du parquet et du siège, afin de concourir, ensemble, à l’intérêt européen. A l’évidence, le rôle de l’avocat comme défenseur des libertés individuelles sera plus que jamais primordial.

Avec l’entrée en fonction du Parquet européen, nous conseillons fortement aux entreprises de prendre conscience de l’importance de renforcer leurs équipes par les services d’avocats pénalistes spécialisés, véritables techniciens de la procédure pénale, afin d’anticiper et de répondre au mieux à ce nouveau risque pénal européen.

Si nous ne pouvons pas présager de la politique pénale à venir du Parquet européen, l’analyse des premières décisions prises par les procureurs européens délégués sera révélatrice du ton donné par le bureau central à Luxembourg. Ce premier bilan nous permettra de nous prononcer notamment sur le respect des droits de la défense par ce nouvel organe de l’Union européenne. Nous resterons quoi qu’il arrive, les garants de cette fonction essentielle qu’est la défense des droits de nos clients.

1. Article 6 du Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017.

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